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© Michael Huntringer

Lorsque la Première Nation de Westbank, dans la vallée de l’Okanagan, a amorcé la perception d’impôts fonciers au début des années 1990, le temps pressait de rétablir une infrastructure depuis longtemps délaissée – la réparation de routes délabrées, la construction d’habitations convenables et la modernisation des réseaux d’aqueduc et d’égouts très mal en point.

Mais la réserve n’avait pas accès au genre de capital dont pouvait bénéficier la ville voisine de Kelowna ou d’autres municipalités entreprenant de tels projets. Malgré le fait que plusieurs communautés des Premières Nations au Canada pouvaient compter sur d’importantes recettes tirées des taxes, de projets énergétiques, du développement immobilier et du secteur des jeux d’argent, la Loi sur les Indiens empêchait qu’ils puissent obtenir les prêts bancaires à faible taux d’intérêt pour la réalisation de projets d’infrastructure ou d’autres projets.

Voilà une situation que la Première Nation de Westbank et d’autres Premières Nations ont travaillé à corriger pendant deux décennies, ce qui a permis à un régime de financement singulier pour réduire les coûts du crédit et bénéficier de taux d’intérêt garantis pour leurs communautés de voir le jour. L’Administration financière des Premières nations (AFPN), un organisme sans but lucratif fondé en 2006, met à profit des techniques de financement d’avant-garde, dont le calcul de la capacité d’emprunt individuelle d’une Première Nation selon ses activités génératrices de recettes. Une façon de faire qui lui permet d’élaborer des plans communautaires à longue échéance et de mieux orienter son propre développement économique.

Moment décisif pour la gouvernance financière des Premières Nations

« Cela change tout pour les Premières Nations qui, historiquement, ne pouvaient obtenir leurs emprunts qu’au taux de détail des banques », affirme Ernie Daniels, PDG de l’AFPN. Le pilier du régime, note-t-il, c’est la mise en commun des ressources des Premières Nations afin d’obtenir le financement dont elles ont besoin. « Voilà l’idée novatrice! »

L’AFPN a été établie en vertu de la Loi sur la gestion financière des premières nations, laquelle a été adoptée avec l’appui de tous les partis du Parlement en 2006 et met de l’avant l’adoption volontaire de nouvelles normes de gestion financière interne pour les communautés des Premières Nations. « Cette loi nous a donné des moyens de contourner la Loi sur les Indiens afin d’élaborer des systèmes, une structure et des garanties permettant d’obtenir une cote de crédit très attrayante », explique M. Daniels, comptable général accrédité de la Première Nation de Salt River, située près de Fort Smith, dans les Territoires du Nord-Ouest.

L’AFPN offre des services d’investissement aux Premières Nations leur procurant des instruments de gestion de trésorerie à court terme abordables et garantis, ainsi que des services-conseils pour instruire le personnel et les gouvernements des Premières Nations sur la façon de bien utiliser le financement à long terme comme outil de protection et d’optimisation budgétaires.

La Commission royale sur les peuples autochtones de 1996 fut un point tournant important pour les Premières Nations dans leur prise en charge financière, affirme M. Daniels, leur permettant d’administrer eux-mêmes les fonds consentis aux programmes de guérison sur les réserves. De plus, la création de l’AFOA (anciennement

« Aboriginal Financial Officers Association of Canada ») offrait aux peuples autochtones la possibilité de mieux administrer et gouverner leurs propres affaires.

Il salue tout particulièrement « la persévérance des communautés des Premières Nations qui ont poursuivi cet objectif », lequel a pris naissance en Colombie-Britannique, ainsi que l’œuvre de leur prédécesseure, Deanna Hamilton. Membre de la Première Nation de Westbank, sa vision et son dynamisme soutenus pendant une vingtaine d’années ont fait en sorte que l’AFPN devienne une réalité. « Elle n’a jamais baissé les bras. Cet engagement lui tenait à cœur. Elle a été persistante et a travaillé très fort pour y arriver », explique M. Daniels.

Daniels veut plus d’investissements dans projets innovateurs des Premières Nations

Il était frustrant de constater à quel point ratifier une loi permettant la création de cet organisme indépendant a pris du temps. Mais l’organisme est en place aujourd’hui et « le gouvernement veut voir comment l’AFPN peut l’aider à réaliser ses objectifs auprès des Premières Nations d’un bout à l’autre du pays ».

Le premier prêt de l’AFPN a été octroyé en 2012 à la Première Nation de Membertou, tout près de Sydney, en Nouvelle-Écosse. Sa première obligation non garantie – un type d’obligation – a été consentie en 2014. Aujourd’hui, « des investisseurs de partout dans le monde achètent des obligations non garanties de l’AFPN », dit M. Daniels. Des projets d’une valeur d’environ un demi-milliard de dollars ont été financés, chaque dollar ayant été dépensé dans des réserves pouvant générer des revenus issus des biens et des services allant jusqu’à six fois cette somme dans des régions voisines, explique-t-il. Environ 4 000 emplois ont par ailleurs été créés. « À bien y penser, les retombées économiques générées par les activités de l’AFPN sont incroyables. »

  1. Daniels aimerait bien voir l’instauration d’autres programmes visant à stimuler l’innovation chez les Premières Nations et croit qu’il serait particulièrement utile d’expliquer aux gens les retombées du développement économique en amont.

Les infrastructures dans les réserves accusent un retard évalué à plus de 35 milliards de dollars, alors que la population autochtone croît quatre fois plus vite que la moyenne nationale. « Le Canada dans son ensemble retirera les bénéfices de cette initiative, dit-il. Investir dans les Premières Nations, c’est indiscutable. Imaginez l’impact économique pour le pays… il sera phénoménal. »

Moments décisifs

  • La Commission royale sur les peuples autochtones de 1996 a souligné l’importance de bâtir la compétence et l’expertise financières au sein des Premières Nations. Elle rassemblait des autorités des finances des Premières Nations afin que ceux-ci puissent partager leurs expériences et leurs succès en matière de gestion financière.
  • La ratification de la Loi sur la gestion financière des premières nations de 2006 a eu pour effet de lancer les travaux de l’Administration financière des Premières nations. La Loi a également mené à la création du Conseil de gestion financière des Premières Nations, en soutien des saines pratiques de gouvernance et de gestion financière, et de la Commission de la fiscalité des premières nations, permettant aux communautés d’établir des régimes d’impôt foncier.

Ce qui m’inspire le plus…

… ce sont les actions collectives au sein des Premières Nations. Bien des gens ont fait bien des choses différentes pour améliorer le bien-être de nos communautés. Quand une Première Nation identifie un problème, elle persévère et trouve des solutions pour apporter des changements au bénéfice de nos collectivités. — Ernie Daniels